11.1.15

9 janvier

Ma petite femme chérie et ma chère enfant,

Je m'empresse de répondre à ces 3 lettres que je viens de recevoir. Hier j'ai eu une lettre du 1er courant à 8h du soir, une du 3, et ce matin je reçois au réveil celle du 29 décembre, ainsi qu'un mandat-carte de 5 francs des sapeurs-pompiers de Salins avec tous les meilleurs souhaits et d'un prompt retour. 
Tu vois ma chérie que je suis aimé et estimé par toutes les personnes qui me connaissent, ainsi que par mes frères d'armes ; quoique je ne fais plus les fonctions de caporal depuis quelques temps, ici au 57ème territorial, lorsqu'il y des corvées, c'est moi qui suis nommé pour commander ces corvées. Quand on est bien noté, c'est pour longtemps, je commande aussi doux les hommes qui sont sous mes ordres qu'à toi lorsque je te parle, et je suis bien estimé. Il n'y a qu'aux gradés que je réponds fermement car c'est le règlement qui le commande. Hier je surveillais la corvée de cassage de pierres, les hommes s'étaient mis à l'abri d'un arbre pour allumer une cigarette, quand survint deux officiers, un commandant et un lieutenant. Le commandant s'adressant à moi me dit : "Pourriez-vous me dire pourquoi vous ne travaillez pas ?", et moi de lui répondre : "Pardon mon commandant, il y a cinq minutes de pause" avec un ton qui lui faisait voir que je n'étais pas craintif. Il me répond : "C'est bien", me salue bien et ils continuent leur chemin. Si j'avais balbutié à mes paroles, c'est moi qui allait trinquer ; mais rassure-toi bien vite ma bien aimée, pas plus les officiers que l'ennemi ne me font peur. Je fais tout mon devoir de patriote tout en pensant à toi, à petite Marie et tous les parents.
Chère Alice, tu vois par cette présente lettre comme la poste a fonctionné, et si je t'ai parlé que je pensais que tu ne voulais plus m'écrire, c'est que ma douleur était trop forte. Pardonne moi bien cela ma chérie, mais la douleur était si forte, surtout que tu connais mon amitié, que je ne savais plus comme je vivais. 
Enfin, pour quant aux dragées que tu m'a envoyés du baptême de notre cher ange, je n'ai pas voulu te dire qu'ils seraient trop vieux à mon retour. J'ai tout simplement voulu te parler que plus j'attendrai, meilleurs je les trouverai. C'est ainsi que je t'ai parlé de cela, en comparant au bon vin vieux. Prends exemple à ceci comme si je m'étais éloigné de toi pour deux jours. En rentrant, tu m'aurais fait la fête j'en suis certain ; et après une si longue séparation, ça veut bien être autre chose quand l'on se resserrera de nouveau dans nos bras et nous nous embrasserons, ce qui, je crois ne pourra nous lasser. Les dragées en seraient de même, j'aurais attendu d'en avoir, je les aurais trouvés superbes.
Je les ai trouvé bien bons ainsi que les camarades à qui j'en ai offert. Ne crois pas ma bien aimée que j'ai voulu te dire que tu m'oubliais, non pas le moins du monde. Tu vois comme je me gène avec toi, je t'ai bien demandé des chaussettes et un couteau. Je t'aurais aussi bien demandé des dragées, enfin pardonne bien cela qui a du te tourmenter. 
Tu vois que l'amitié que nous avons est grande. Restant exactement quinze jours sans avoir de tes nouvelles, je n'ai cessé de t'écrire, car si tu avais été comme moi aussi longtemps, j'aurais vu ta peine, surtout que tu me crois bien mal. Mais rassure toi bien mon amour, je ne crains rien pour le moment, et si Dieu le Maitre de toutes choses permet que nous ne nous retrouvions pas, je préfèrerais la mort de suite que d'être séparés pour encore comme maintenant.
Enfin, j'ai la ferme espérance de te revoir bientôt et de te serrer dans mes bras ainsi que mon enfant chérie et à qui tu donnes tant de baisers pour moi. 
D'abord ici je ne crains rien et quand l'on avancera tout en faisant bien mon devoir, je penserai à toi et à mon enfant ainsi que tous les parents. Tranquillise toi toujours bien, tout ira bien, je me vois déjà de retour me jetant dans tes bras, où nous ne serons plus jamais séparés, et où nous vivrons heureux avec notre chérie. 
Je vais écrire demain à M. et Mme Blandin pour bien les remercier. Ce soir il es trop tard, je me dépèche de finir ma lettre pour que tu la reçoives plus tôt.

Reçois ma bien aimée ainsi que petite Marie, mes plus tendres amitiés et soyez tous fortement embrassés comme je vous aime, je suis heureux de savoir que mon enfant chérie, notre amour profond, vient bien. Je me fais déjà un plaisir d'avoir vos photographies et non vos masques comme tu me le dis, cela me fait de la peine car je suis fière de mon épouse et de mon enfant. Bien des choses pour moi à la maman. 
Au revoir et patience, tout va bien maintenant.
Ton époux et petit papa. 
Léon

Au moment où je vais porter ma lettre à la poste, je reçois ta lettre et ta carte du 3 courant, ainsi qu'une carte de Germaine. Ne pleure plus mon amour, tout va bien aller maintenant, et à cette heure je te sens heureuse car tu sais que je reçois tes correspondances, et moi je vais être heureux de recevoir bientôt votre image, en attendant d'avoir ma présence parmi vous, le printemps nous sourit.
Je te joins la carte de Mme Perret dans ma lettre. tu peux croire que je suis heureux.
Mille bons baisers mes chéries.
Ton Léon qui t'adore pour la vie.
je te serre sur mon coeur affectueusement.

Ton léon

Dannemarie sous la neige

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire