26.1.15

26 janvier

Ma tendre épouse chérie et chère petite Marie,

Je venais de mettre ma carte à la boite hier soir quand j'ai reçu ta chère lettre du 22 courant, qui m'a encore beaucoup émotionné. Pour quant à ce que tu me demandes, je te l'accorde volontiers, et de très bon coeur. Tu sais bien ma chère Alice, que l'amitié que nous avons est si grande pour les deux et que je ne voudrais pas te laisser dans la peine où tu te trouves. Oublions vite tout cela comme s'il n'y avait jamais rien existé, je ne me suis jamais départi d'une seule minute de la grande et sincère amitié que tu as pour ton petit époux. 
Tu prétends que tu t'es mal expliquée et tu me demandes pardon, mais à mon tour, je devais faire un peu plus attention à mes cartes et à ta lettre, donc ma chérie, nous nous pardonnons tous les deux, et rejetons loin de nous, bien loin, ces tristes pensées et pensons tous les deux à l'heureux avenir si nous avons le bonheur de nous revoir. 
J'ai cette grande espérance et je ne crois pas que ce que tu auras fait pour ton cher petit époux permettra un si grand malheur pour toi. Unissons bien nos prières et demandons bien à Dieu qu'il nous fasse la grâce de nous revoir, de bien s'aimer et de bien élever les enfants qu'il nous donnera ; donc, ma chère adorée, prenons tous les deux bien patience, et espérons en ce grand jour qui nous rendra si heureux. 
Le temps n'est rien pourvu que nous voyons ce grand jour de bonheur. Je ne crois en rien de ce que l'on t'a dit et que tu me parles sur ta lettre que la guerre tiendra encore jusqu'au mois de juillet. Mais ma bien aimée, où est M. Faillenet ? c'est le même refrain qu'ici : un bédouin qui en dit long comme le petit doigt, une heure après c'est un grand journal de source sûre qui parcoure le régiment. Pour quant à Dumont, notre député, comment se fait-il qu'il soit allé à Arbois faire une conférence à ce sujet ? Je n'y crois pas non plus. Si cela était vrai, il ne rassurerait pas beaucoup ses électeurs, ce serait la ruine de beaucoup de gens et des puissances. La culture ne se ferait pas et l'hiver prochain, la famine se ferait sentir. Comment se fait-il que ce député qui est brancardier de lui-même - puisqu'il s'est engagé pour la durée de la guerre - vienne dans son arrondissement pour raconter cela. S'il peut avoir permission, c'est pour siéger au parlement, et non pour se promener. Mais maintenant, je fais au bout et je n'écoute rien de tous ces racontars. 
Hier au soir, l'on nous a fait préparer pour partir ce matin à trois heures. Nous avons été éveillés à deux heures et demie pour ne rien faire du tout. Je ne sais si c'est à cause du peu de neige qu'il tombait qui nous a empêché de partir.
Chère Alice, comme tu le vois sur ma carte, j'ai demandé à changer de corps, car je ne puis te cacher plus longtemps : je ne suis plus bien avec Joseph Priquet mon chef de section. Sa fierté le rend un peu dur. Il y a des hommes avec qui il doit être sévère, mais ne doit pas faire ce qu'il m'a fait dernièrement : j'étais avec des camarades dans la maison que nous habitons, et pour n'avoir pas été couchés à 8h du soir, il m'a mis 4 jours de tranchées. Ce n'est pas à cause des autres qu'il voulait punir, il fallait que je trinque aussi, pour une fois que je ne me suis pas couché à l'appel.
Je suis bien certain que le lieutenant Pernet n'a rien reçu d'avis de tout cela. Je n'ai pas fait de réclamation non plus. Si je peux parvenir à changer et à être près du docteur Perret, je serai plus tranquille. Enfin, ma bien aimée, ne te fais pas de mauvais sang à ce sujet. Si je t'en parle, c'est que j'aime mieux que ce soit moi qui t'en parle, que de dire que tu l'apprennes par d'autres, car tous les Salinois le savent, et l'apprenant par d'autres tu te penserais le pire. Si tu savais ce que je m'en fiche de sa punition, j'en ris maintenant. Il y a Léon Prost de Salins, le beau-frère de Mathilde Velut qui ne l'aime pas. Il ne peut pas le voir, il est bien content de ne pas être à sa section. Il est aussi de la 18eme compagnie, et je suis bien content de l'avoir aussi avec nous car c'est un gentil garçon ; donc ma tendre épouse, ne te tourmente pas pour ce que je te dit là. Si je viens à changer, je te le ferai savoir assez tôt, mais il faut quelques temps pour toutes les formalités à remplir, et je ne sais si je pourrai y parvenir car les bons soldats on ne les lache pas de but en blanc. 
Chère Alice, tu me demandes si nous quittons l'Alsace puisque nous quittons d'être défense mobile de Belfort. Et bien non ma chérie, nous voyons d'autres pays et où nous sommes maintenant c'est à 5 kilomètres de la frontière Française. Tranquillise toi toujours bien, je ne suis pas malheureux non plus. Du papier à lettre j'en ai assez, tu verras bien mon amitié quand j'aurai besoin, je te demanderai.
Je termine ma bien aimée, et oublions tous les deux ces tristesses. 
Reçois ma bien aimée et petite Marie toutes mes tendresses et soyez bien embrassées, sans oublier la maman et tous les parents.
Au revoir et courage. Je vous serre bien tendrement sur mon coeur.
Ton Léon qui t'adore aussi que notre petite chérie. 
A toi mon coeur et ma vie pour toujours.
Léon


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