28.8.14

28 août

Ma chère Alice
Je m'empresse de répondre à tes correspondances que j'ai reçues cette semaine et qui m'ont bien fait plaisir, je commençais à douter qu'il t'était arrivé quelque chose mais maintenant je suis rassuré : j'ai reçu tes deux premières lettres mardi matin et la carte avec une autre lettre ce matin ; mais bien qu'elles mettent du temps pour arriver je pense que les miennes font de même, enfin prenons tous les deux patience, cela ne durera pas. Je ne puis te fixer le jour où nous nous reverrons mais cela ne saurait tarder, tout va pour le mieux maintenant, la victoire s'avance, encore quelques coups d'éperons et nous y serons. Je ne te dis pas le pays où nous sommes, cela nous est défendu, tout ce que je puis te dire, c'est que nous ne sommes qu'en Alsace et je suis toujours de la division de réserve, alors tu vois que tu peux te tranquiliser de moi, je ne suis encore pas des plus malheureux, si l'on trouvait quelques fois du vin l'on serait heureux comme des princes, enfin je boirai un bon litre quand je rentrerai.
Chère Alice, tu me demandes si j'ai encore de l'argent car tu penses que je ne dois plus guère en avoir, tu as le coeur trop bon, et moi je pense à toi, je ne le dépense pas mal à propos. Je te remercie bien sincèrement mais j'en ai encore assez, si je venais à en manquer, je te le ferais savoir et tu pourras m'envoyer un mandat télégraphique ; mais pour le moment je n'ai rien besoin que de te revoir, quel heureux jour, ce sera aussi beau que notre mariage. Surtout ne te fais point de mauvais sang surtout dans la position que tu es, moi aussi je pense à toi, à l'aimée de mon coeur, celle qui m'est chère. 

Tu me dis que tu as écris à Pont d'Héry, tu as bien fait, je te remercie. Il ne faut pas laisser les vieux dans l'insouciance, j'irai les revoir quand je serai rentré, ils seront heureux. Je ne pourrai revoir Albert [Griffon] car il est probable qu'il sera retenu quelques temps après les hostilités pour occuper les pays conquis. Moi je ne risque rien de rester car je ne suis pas un bleu de sa classe.
Chère épouse, il y a Sigonnet de la Chapelle qui est au même bataillon que moi, je l'ai vu lundi, et puis nous sommes aussi une foule de Salinois, il fait toujours bon se voir entre pays, cela nous distrait un peu.
Tu peux dire à Edmond et à Marcel qu'ils ne verront pas ce que je vois maintenant : les peuples barbares. Comme les allemands auront disparu quand ils y arriveront au régiment, l'ennemi recule devant toutes les puissances et dans très peu de temps il sera anéanti.
Lorsque tu iras à Salins, tu donneras bien le bonjour à chez Mme Perret ainsi qu'à chez Mr Longchamp et tous les amis, embrasse bien aussi tous tes chers parents pour moi, et dis leur bien des choses de ma part, surtout qu'il me tarde bien de tous vous revoir.
Et toi, ma chère petite femme, reçois mes meilleures amitiés et soit bien tendrement embrassée, comme je t'aime du plus profond de mon coeur.
Ton petit mari
Léon
Au revoir. Courage.






12.8.14

13 août

Chère Alice et chers parents,
Deux mots pour vous dire que tout va bien pour le moment mais que nous avons assez chaud. C'est un beau temps pour finir les foins et faire les moissons ; moi aussi j'aime mieux ce temps là que la pluie. Si l'on est en sueur, l'on est plus vite sec aussi. Je commence à trouver le temps grand de ne pas recevoir de tes nouvelles ma chère alice. Mes lettres ne te parviennent t'elle pas des fois, ou bien si c'est les tiennes qui ne peuvent pas m'atteindre, enfin je ne me décourage pas pour autant car je n'en ai encore pas vu distribuées à mes camarades, enfin vivement ces heureux jours de se revoir ainsi que mes chers parents. Quelle joie je vais avoir en te serrant de nouveau dans mes bras car l'amitié que nous avons tous les deux est grande et ne s'éteindra jamais.
Chère Alice, fais toujours bien ton possible pour supporter encore ces quelques jours mon absence, tu verras ce que je t'ai dit, que nous voulons encore passer des jours heureux ensemble. Je m'arrête pour aujourd'hui car voici l'heure d'aller crouter. Lorsque tu iras à Salins, tu donneras bien le bonjour de ma part à chez Mme Longchamp ainsi qu'à chez Mme Perret et tous les amis, sans oublier tous tes parents que tu embrasseras bien pour moi ; et toi ma chère adorée, reçois mes plus tendres amitiés et soit aussi fortement embrassée. Ton petit mari pour la vie.
Léon

7.8.14

8 août

Offemont,
le 8 août

Chère Alice et chers parents

Je vous écris ces deux lignes pour vous tranquilliser car en ce moment j’ai quelques minutes à moi. Tout va pour le mieux jusqu’à présent. Nous sommes proches de la frontière allemande de 6 kilomètres. Nous avons déjà des troupes françaises en Alsace. Nous sommes arrivés à Belfort mercredi soir à 10 heures, et nous sommes allés coucher à Bavilliers où nous sommes restés jusqu’à hier matin et nous resterons ici en réserve jusqu’à nouvel ordre. Nous manoeuvrons en ce moment comme réservistes ; je ne suis pas malheureux, mais je trouve le temps bien grand de toi ma chère Alice ne te fait pas de mauvais sang non plus, je suis certain que nous nous reverrons bientôt, prend un peu patience et tout ira pour le mieux, pense surtout à la position où tu te trouves, je ne tiendrais pas à ce que notre héritier attendu supporte les conséquences de cette mobilisation.
Comme je n’ai pas toujours l’occasion d’écrire, je te demande d’envoyer deux mots à Pont d’Héry pour moi à seule fin de les tranquilliser un peu. Tu leur donneras de mes bonnes nouvelles et dis leur de se tranquilliser. Je n’ai pu voir Albert car comme nous sommes éloignés de l’active, nous ne pouvons nous voir vu qu’il suit l’active étant au 1er échelon de réserve.
Je puis vous dire que nous voyons beaucoup d’aéroplanes ici, il n’y a pas de jours où l’on en voit au moins cinq ou six. Je crois que c’est ces engins qui font le plus la guerre aux prussiens. Je ne vois plus grand chose à vous dire pour le moment que je me porte bien et que je désire que tout aille pour le mieux parmi vous. Je vais terminer ma lettre car nous allons bientôt retourner au service en campagne comme exercice de l’après midi.
Voici l’adresse pour mes parents Viennet Cyrille à Pont d’Héry par Salins, Jura.
Et puis voici ma nouvelle à moi : Viennet Léon - 244ème d’infanterie, 18ème compagnie, par Lons-Le-Saunier.
Donc au revoir, je vous embrasse tous bien fort, et toi ma chère Alice, reçoit mes tendres amitiés et soit fortement embrassée.
Ton petit mari que tu reverras bientôt.
Léon

N’attends point mes effets civils, je les ai mis en consigne à la caserne de Lons le Saunier.
Donne moi de tes nouvelles ainsi que de tes parents pour me faire prendre patience de notre séparation provisoire. Toujours à toi ton petit homme qui t’aime et qui pense à toi pour la vie.
Léon



5.8.14

5 août


Lons-Le-Saunier
le 5 août 1914

Chère Alice et chers parents

Deux mots pour vous dire que nous quittons Lons-le-Saunier aujourd’hui à midi. Nous allons peut être à Belfort et si c’est vrai, je ne pourrai peut-être pas vous écrire car sur le réseau de l’est, la Poste ne fonctionne pas régulièrement ; c’est pourquoi je vous écris pour vous prévenir si toutefois vous restez quelques temps sans avoir de mes nouvelles ; donc tranquillisez-vous de ce côté, je puis vous dire aussi que tout va pour le mieux en ce moment et qu’il en sera toujours ainsi. Nous sommes presque tous du pays ensemble, j’ai comme chef de section un instituteur de Salins, un bon type… Quant aux corvées, j’en suis exempt et puis avec lui j’ai quelques douceurs et aussi quelques quarts de vin, cela est toujours à sortir du portemonnaie en moins. Chère Alice, je te recommande de bien supporter mon absence, tu dois bien te penser que quoique je suis mobilisé, je ne m’en fait pas, j’ai constamment une pensée pour toi, et il me tarde que nous ayons remis la paix en Europe pour être libéré mais cela ne tardera pas comme je vous l’ai dit, c’est 28 jours que l’on fait.
Enfin je m’arrête pour aujourd’hui car le rassemblement va bientôt sonner, donc au revoir. Pas de mauvais sang moi je ne m’en fait. Je vous embrasse tous bien fort comme je vous aime. Oh toi ma chère Alice, soit aussi bien tendrement embrassée par ton petit mari et reçoit mes plus sincères amitiés.

Ton petit mari.
Léon

Toujours la même adresse





© Ministère de la Défense - Mémoire des hommes



© Ministère de la Défense - Mémoire des hommes



© Ministère de la Défense - Mémoire des hommes

© Ministère de la Défense - Mémoire des hommes

3.8.14

3 août

Lons-le-Saunier
Le 3 août
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Chère Alice et chers parents, deux mots pour vous tranquiliser. Tout va bien pour le moment. Nous ne savons encore lorsque nous sortirons de Lons-le-Saunier et où nous irons ; nous ne croyons pas que nous aurons forte affaire; mais puisque nous sommes ici, il faut que nous remettions la paix dans l’Europe pour toujours ; comme je vous l’ai dit, n’écoutez pas tout ce que vous entendrez car la rumeur publique parle bien souvent à tort. J’espère que nous ne serons pas longtemps mobilisés. Je me dit toujours que je fais 28 jours, peut-être moins, enfin que cela finisse vite pour que je puisse revoir les êtres qui me sont chers, et toi ma chère Alice, prend patience, nous voulons passer encore d’heureux jours ensemble, ne te fait pas de mauvais sang, surtout dans la position où tu es, pense à l’être cher que nous allons avoir et qui sera le fruit de notre amour. Je ne veux pas vous en dire bien long pour aujourd’hui. Je veux vite terminer pour porter ma lettre en ville. Nous pouvons sortir en promenade ce soir, donc au revoir et soyez tous bien embrassés.
Ton petit mari qui t’aime toujours et qui pense à toi ainsi qu’à ses chers parents.
Léon

Voici mon adresse
Viennet Léon
au 244ème d’infanterie, 18ème compagnie - Lons-Le-Saunier - Jura
En cas de départ avant que de recevoir votre lettre, mettez la mention suivante : faire suivre en cas de départ.




2.8.14

2 août


2 août : mobilisation générale. Je suis affecté à la caserne Michel de Lons-le-Saunier. Le caporal Jules-André Peugeot était lui aussi affecté au 44ème RI de Lons. Il est tombé ce matin près de la frontière allemande au sud de Belfort. C'est le premier soldat français tué de cette guerre qui n'est pas encore déclarée.


Livret d'instruction militaire de 1904


Mon certificat de bonne conduite au 44ème RI, délivré en 1906