4.1.15

4 Janvier

Mon Alice chérie, et ma chère petite Marie

Je fais suite à ma carte d'hier comme je te l'ai promis. Je veux tout d'abord te dire la grande joie que j'ai eu en recevant tes lettres chéries, tu peux croire ma bien aimée que j'étais bien triste, je ne savais que penser de ce silence, j'avais grand peur qu'il soit arrivé quelque chose dans la famille, et que vous n'osiez pas me le dire ; enfin maintenant je reprends courage car je vois que ce retard est du aux postes. Tu dois mieux recevoir mes correspondances que moi je reçois les tiennes, enfin prenons patience ma chérie, après des mauvais jours il en viendra des bons, ne nous tourmentons pas tant et tout ira bien, avec le printemps qui va nous apparaitre, renaîtra la paix et le bonheur car il faut bien penser mon amour que la guerre ne peut durer bien longtemps, ce serait la famine et la ruine de toutes les puissances combattantes. Il faut bien penser que tous les cultivateurs qui sont sur le front ou soldats ainsi que tous les autres ouvriers devront rentrer pour faire les travaux pour nourrir l'humanité. Qu'arriverait-il si nous étions encore pour six mois comme maintenant, rien ne s'ensemencerait et rien ne serait à récolter pour l'hiver prochain. Tu dois le voir ma chérie, les campagnes sont désertes et aussi les villes, moi je m'en aperçois ici par le nombre d'hommes que nous sommes ici, et encore, nous ne sommes pas des plus nombreux car ce n'est pas ici que le plus grand travail se trouve. Il nous faut sortir les boches qui se trouvent sur notre territoire et après tu verras que le reste ira tout seul. Notre bon père le Général Joffre, chef des armées françaises, est certain de la victoire, nous pouvons déjà compter que l'Alsace et la Lorraine seront bientôt de retour à la France, le Rhin qui était l'ancienne frontière n'est pas loin de nous, et aussi une bonne nouvelle aujourd'hui : au rapport l'on nous a dit que les boches commençaient à sentir la faim. Ce sera encore bien plus facile à les vaincre car quand l'on a rien dans le bidon, le courage n'est pas bien grand. Nous n'avons pas à nous plaindre nous, pour la nourriture c'est tout ce qu'il y a de mieux, tandis que chez les boches si tu voyais le pain qu'ils mangent, il te répugnerait, Des camarades qui étaient allés parler avec des sentinelles boches en avait rapporté, je n'ai pas voulu en goûter, et aussi ils se plaignent du régime que l'Allemagne leur fourni.
Chère épouse, tu peux te tranquilliser un peu pour moi. Comme ma section a été versée au 57ème territorial nous sommes revenus en arrière, nous sommes à Dannemarie maintenant, quoique cela nous prenons quelquefois les avants-postes car il faut bien que les camarades se reposent aussi. Ce n'est pas un travail bien fatiguant et tu peux être sans crainte, l'on est bien abrités, et lorsque nous serons ici nous ferons un peu d'exercice pour se déraidir les bras et être aussi bon soldats qu'à 20 ans, donc pas de mauvais sang comme tu t'en fais et tout ira bien.
Mon Alice adorée, comme j'écris cette lettre, j'en reçois une de toi du 27 décembre où tu me dis que voilà 3 jours que tu n'as pas de nouvelles, cependant ma chérie comme tu le verras, je n'ai cessé de t'écrire quoique ne recevant pas de tes nouvelles. Je ne t'oubliais pas ma tendre épouse car ma pensée est constamment à toi, à petite Marie ainsi qu'à la chère maman et tous les parents : comme je te le dis en tête de ma lettre, le retard est du au service des postes. Je te remercie bien ma chérie ainsi que les parents des bons souhaits et voeux de bonne et heureuse année. Je te remercie aussi des prières à la demande de Notre Dame Libératrice. Moi aussi ma bien aimée je demande bien des choses à Dieu pour moi et ma petite famille qu'il me tarde tant de revoir, enfin espérons bientôt ma chérie, nous aurons le bonheur que nous méritons.
Chère Alice, tu me dis sur une lettre que tu es allée avec Edmond à Salins, je pense que tu as visité notre petit logement où nous serons encore bien heureux avec petite Marie et où avec le temps nous lui acheterons un petit frère lorsqu'elle pourra le bercer et l'amuser. C'est un métier que je n'ai pas pratiqué depuis que je t'ai quitté, mais nous serons très vite remis à ce travail. As-tu vu madame Longchamp ?  t'a t'elle bien parlé ?, tu me le diras sur ta prochaine lettre, je te remercie bien et tu le feras pour moi à Mme Clément et chez M. Bourgeois. L'usine Clément marche-t'elle toujours ?, car il me tarde bien de piloter ma Jeanne d'Arc au lieu de faire des kilomètres à pied, enfin ça finira bien tôt et nous serons bien heureux. 
Tu me parles de la cousine Viennet de Salins, mais si il me fallait écrire à toutes les connaissances j'aurais bien du travail. Chère épouse, il faut que je te demande un couteau, j'ai égaré le mien pour le jour de l'an. Tu m'en enverras un avec une paire de chaussettes comme les dernières que j'ai reçu, j'en ai bien deux paires de laine mais une paire est déjà trouée et je n'ai rien pour raccommoder. 
Embrasse bien et remercie bien pour moi cette chère maman qui a tant soin de toi et de mon enfant. Embrasse également tous les parents aussi, et toi, ma bien aimée et tendre épouse adorée, ainsi que petite Marie, recevez d'un époux et d'un petit père qui vous aime bien tendrement et qui ne vit que pour vous, les plus tendres amitiés et courage.
Ton petit époux
Léon

57ème territorial - 2ème Cie par Belfort
"Faire suivre en campagne"

Encore mille bons baisers ma chérie
Léon
J'ai oublié de te dire que la marraine m'avait envoyé cinq francs le premier de l'an, je n'ai pas du t'en parler sur ma carte

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire