18.10.14

18 octobre

Dimanche 18 octobre, partant le 19

Mon Alice chérie,
Je m'empresse de faire réponse à ta lettre du 14 courant que j'ai reçue ce matin et qui m'a bien fait plaisir, car j'attendais de tes nouvelles aussi. Il faut que je te dise ma chérie, de te tranquilliser un peu. Nous aurons l'espérance de passer encore de beaux jours ensemble et de plus beaux que nous avons déjà passés les deux, car nous aurons le fruit de notre amour profond qui nous fera oublier les jours que je passe ici, et qui nous sépare tous les deux. Ayons confiance dans l'avenir : mieux vaut rester encore quelques temps comme cela, car durer c'est vaincre, et il vaut mieux ainsi que d'avoir beaucoup de pertes. 
Il y aura assez de veuves, d'orphelins et de jeunes gens qui faisaient le bonheur de leurs parents et qui ne sont plus. Mais quoique cela arrive, çela ne veut pas dire que nous serons séparés jusqu'à Pâques. J'ai l'espérance que pour le jour de l'an, nous serons réunis et si toutefois je n'étais pas rentré pour ces deux dates là, ça ne saurait tarder. 
Enfin prenons courage tous les deux, le temps est court quoiqu'il nous parait bien long. 
Mon cher trésor, je me vois déjà de retour près de toi : quelle joie pour les deux, et plus encore pour moi car je verrai deux êtres qui me seront très chers ainsi que tous les parents. 
Oh ma bien aimée, je te le redis encore : fait bien attention à ta personne, je ne voudrais pas pour tout au monde qu'il t'arrive quelque chose. J'ai bonne espérance pour le jour où tu deviendras maman, j'entrerai dans l'avenir me présentant ce cher enfant car tu ne peux savoir comme j'aime ces petits enfants. 
Tiens écoute ceci : tu verras le coeur que j'ai. Ce soir nous avons mangé, avec ma section, la soupe à 3h1/4 pour aller prendre le service aux avants-postes pour 24 heures. Il est venu deux petits alsaciens près de nous. L'un pouvait avoir de huit à neuf ans et l'autre de six à sept. Ils nous regardaient manger. Le coeur m'a serré en voyant cela, je leur ai donné ma portion de viande avec un gros morceau de pain chacun. J'ai été le seul sur deux escouades qui l'a fait. Ces enfants ne sont pour rien dans ce conflit et si leur père est soldat dans l'armée allemande, ils n'en sont pas la cause. Chacun a répondu à l'appel de sa patrie. Tu vois j'ai préféré me passer de ma portion pour leur donner et je n'en suis pas plus mal pour autant, au contraire je m'en porte très bien.
Chère bien aimée, mon trésor et ma vie entière ; tu me dis que je n'ose rien te demander, je ne vois qu'à cela d'avoir des correspondances égarées : je t'ai écrit une lettre il y a quelque temps où je te disais de me préparer encore une paire de chaussettes de laine comme celles que tu m'avais données pour Noël pour m'en faire deux ; et que je te les demanderais quand j'en aurais besoin. Tu ne m'en parle pas sur ta lettre, et si tu n'a rien reçue de cela, c'est que ma lettre c'est égarée. Je pense que tu auras reçue celle où je te demande des effets, et que mes fleurs t'auront fait plaisir. 
Tu me diras lorsque tu me récriras combien de lettres et de cartes tu as déjà reçue de moi , quoique j'ai perdu mon contrôle. Je verrai toujours bien à peu près, tu vois que maintenant je numérote mes cartes et lettres, et je conserve bien toutes celles que je reçois de toi ainsi que celles de Germaine. Voilà déjà quelques temps que je n'ai rien reçu d'elle et cependant j'ai fait réponse à sa dernière carte, peut-être que ma carte ne lui est pas parvenue, enfin dis lui bien des choses de ma part, et qu'elle m'écrive.
Mon Alice chérie, j'ai envoyé une carte à chez Mme Longchamp pour leur dire d'aérer notre logement car je ne tiens pas à ce que tu ailles maintenant à Salins, vu que ta grossesse s'avance, j'ai pris soin de toi et je veux avoir une femme bien portante avec un charmant bébé lors de mon retour qui est aussi si désiré pour toi. 
Dis bien des choses de ma part à tous les parents, et vous chère maman, vous allez avoir bien du travail avec mon épouse le mois prochain. Ce n'est pas à vous qu'incombe ce travail, c'est à moi, mais remplacez-moi pendant que je défend le sol français menacé, je ne vous oublierai jamais. J'ai le coeur de faire le bien à mes parents et surtout à vous qui le faite pour moi en ce moment : tranquillisez-vous, vous reverrez encore votre gendre qui ne vous oubliera pas.
Recevez, toute la famille, mes sincères amitiés, et toi ma chère Alice bien aimée, soit bien embrassée comme je t'aime du plus profond de mon coeur aimant

Ton Léon qui pense toujours à toi.
Encore mille bons baisers ma chérie
Léon

Adresse-moi tes lettres par Belfort maintenant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire