19.12.14

19 décembre

Ballersdorf, le 19 décembre 1914, partant le 20

Ma chère Alice et petite Marie,

Je fais suite à ma carte que je t'ai adressée hier : c'est le courrier de Lons qui n'était pas arrivé, c'est pour cela que je n'avais pas reçu ta lettre mais aujourd'hui ça a changé car je viens d'en recevoir trois dont ta lettre, une d'Albert que j'attendais tant, et enfin cette carte de Salins que je joins à ma lettre pour que tu me la conserves en souvenir de cette campagne.
Ma chère bien aimée, tu crois comme bien d'autres épouses, ou parents, que nous sommes à plaindre. Non, ne le crois pas, tu sais bien que je t'ai toujours dit la vérité jusqu'à maintenant, je ne t'ai jamais caché quoi que ce soit, et je ne le ferai jamais à toi, ma chérie. Toute la vérité tu l'auras, car toi aussi tu ne me caches rien non plus, c'est bien ce qu'il faut pour nous deux époux qui s'aiment bien tendrement pour la vie, et que rien au monde ne nous séparera, ni même la guerre actuelle. Tu peux toujours te tranquilliser, j'ai foi en la bonté de Dieu et mon espérance ne sera pas trompée.
Chère Alice, tu me parles que tu vois les journaux que Mme Faillenet te porte, et tu y vois bien des choses concernant la guerre ; mais tout ce que tu y lis, tu crois que c'est la réalité ; mais détrompe-toi bien vite sur bien des choses que tu y a puisé, ne vas pas croire non plus que l'Italie se mettra du conflit européen au printemps car cette puissance ne sait pas comment faire, et aussi elle ne tient pas à la guerre. Elle était cependant l'alliée de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie, pourquoi donc n'a t'elle pas combattu aux côtés des deux autres puissances depuis le début des hostilités ? Voici pourquoi elle a vu qu'étant en guerre avec ses alliés, elle se ferait connaitre comme les boches et les Autrichiens de toutes les parties du monde, car il faut être barbare au dernier rang pour déchainer des guerres après être aussi civilisés comme nous le sommes. C'est cette Allemagne qui voulait la guerre, Guillaume ou le Kaiser l'orgueilleux, n'importe quel motif pour y arriver, il aurait voulu que ce soit nous qui commencions car tous les partis qui se trouvent au parlement se seraient séparés, et alors là, il aurait pu vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Aujourd'hui Guillaume II et François Joseph s'aperçoivent que leurs plans de campagne ont complètement échoués, et qu'ils seront vaincus, mais ils continuent encore quelques temps en aveuglant leurs peuples de victoires qu'ils n'ont pas remportées. Pourquoi se cachent-ils si bien les boches ? Parce qu'ils ne peuvent aller plus loin et ne peuvent rentrer chez eux après tant de victoires annoncées. Ça serait la honte le jour où ils seront rentrés dans leur pays et aussi la fin de la guerre. Etant encore sur notre territoire, ils ne pensent pas à la paix, ils se croient vainqueurs mais ils seront vaincus. Je ne crois pas aux journaux, j'en ai lu qui parlaient de l'Alsace, de notre avance qui mentionnait des faits qui n'étaient point arrivés, c'est pour cela qu'il ne faut pas y croire quand ils disent que la guerre sera longue. Elle est déjà bien de trop longue, mais moi à mon idée, quand la violette poussera, nous serons près de notre retour, si ce n'est déjà fait.
Enfin, tranquillise-toi bien ma chérie, l'heureux jour viendra où nous serons heureux encore plus qu'auparavant, car avec notre chère petite fille qu'il me tarde tant de connaitre, et qui nous fera oublier cette longue séparation.
J'ai reçu la lettre d'Albert [Griffon], il est toujours en bonne santé. Je vais lui répondre en lui disant que vous avez dû baptiser cette semaine, et qu'il est porté comme parrain. Il est aussi toujours au même lieu, enfin je suis bien content d'avoir de ses nouvelles car je ne savais que me penser, et lui me demande aussi de mes nouvelles, c'est pourquoi je vais lui écrire de suite pour le tranquilliser. Je suis bien content de savoir que tu vas m'envoyer les adresses des cousins de St Benoit, je suis également satisfait de savoir que tout va bien dans la famille. Nous allons toujours bien, aussi nous avons repos quelques jours car l'on va être vaccinés demain. J'ai repris mon service comme auparavant aujourd'hui, donc tu peux te tranquilliser pour ce motif là.
Embrasse-bien tous les parents pour moi, et bien le bonjour aussi à toutes les connaissances, et toi, ma petite femme chérie ainsi que ma petite Marie, soyez bien embrassées par celui qui vous aime et qui pense toujours à vous.

Léon


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire